Du sucre… à n’en plus vieillir ?

Du sucre… à n’en plus vieillir ? Condiment incontournable de l’alimentation contemporaine, le sucre est accusé de favoriser l’obésité et diverses maladies chroniques, notamment par sa surconsommation. Mais alors qu’il pourrait aussi freiner la réparation des cellules de la peau, certaines protéines offrent un espoir. Pourrait-on bientôt consommer du sucre en limitant ses effets sur le vieillissement ? Le sucre est consommé depuis plusieurs millénaires. Il trouve ses origines dans les îles du Pacifique ainsi qu’en Asie, notamment en Chine et en Inde, où la canne à sucre était connue et utilisée par les populations locales. Il connaît son essor en Europe à partir de la Renaissance, grâce à son exploitation en Amérique, où il reste un produit rare présent à la table des élites. Catalyseur d’un problème de santé mondial Initialement utilisé pour des effets thérapeutiques, le sucre de canne puis de betterave s’est imposé peu à peu dans l’alimentation occidentale, jusqu’à y être omniprésent à partir du 20e siècle. Sa consommation est aujourd’hui mondialisée : on retrouve du sucre ou du sirop de glucose dans toutes les cuisines du monde, y compris dans les plats industriels préparés. En France, un enfant consomme en moyenne 95 grammes de sucre par jour et un adulte 65 g/j, bien au-delà des 50 g/jour recommandés par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé). Couplé à un mode de vie de plus en plus sédentarisé, il est accusé de contribuer à la hausse de l’obésité et de diverses maladies chroniques telles que le diabète de type 2 ou les maladies cardiovasculaires. Les fibroblastes avec une forte concentration de sucre présentent un vieillissement accéléré. Seyta Ley-Ngardigal Sucre roux en morceaux © Oleksandr Melnichuk / Pixabay La peau, autre victime des glucides Le glucose, principale source énergétique de notre corps, est également suspecté d’altérer les cellules de la peau. C’est Seyta Ley-Ngardigal, chercheuse au laboratoire Maladies rares : Génétique et Métabolismes (MRGM – INSERM, université de Bordeaux) qui a mis en évidence ces propriétés lors de sa thèse soutenue en 2024. Le glucose ingéré atteint les cellules de la peau via les capillaires sanguins des tissus cutanés profonds. Une fois dans les cellules, il est dégradé par glycolyse, qui est la dégradation du glucose d’un organisme vivant sous l’action d’enzymes en pyruvate, une molécule clé utilisée pour produire l’énergie cellulaire. Seyta Ley-Ngardigal a démontré par une expérimentation in vitro que les fibroblastes, cellules essentielles à la cicatrisation, voient une modification de leur fonctionnement et régénèrent moins efficacement la peau en situation de glucotoxicité (forte concentration de sucre). Et pour cause, les bactéries aiment le glucose et prolifèrent plus vite lorsque sa concentration est importante. C’est l’une des raisons pour lesquelles les personnes diabétiques ont des problèmes de cicatrisation : les cellules de leur peau sont trop « sucrées ». Les fibroblastes sécrètent différemment les collagènes (de I à VI), l’élastine et l’acide hyaluronique, plusieurs petites protéines que nous retrouvons dans la peau et qui, par leur diminution, vont provoquer l’apparition de rides. Pour cause, « les fibroblastes avec une forte concentration de sucre, quand bien même ils sont jeunes, […] présentent le même phénotype qu’une peau dite « mature », leur vieillissement est accéléré » relate la scientifique. Pour résoudre ce problème, elle a identifié une cascade de protéines liées à la concentration de glucose, dont deux principales : GDF15 (« Growth Differentiation Factor 15 », en français « Facteur de Différenciation et de Croissance 15 ») et MTERF3 (« Mitochondrial Transcription Termination Factor 3 », en français « Facteur de Terminaison de la Transcription Mitochondriale 3 »). Ces protéines ont pour particularité d’être métaboliques (elles agissent sur les réactions ayant lieu à l’intérieur de la cellule) et non exclusivement cutanées comme la plupart des protéines traitées en cosmétique. Ces protéines ne sont pas spécifiques à la peau et y sont peu exprimées, mais elles interviennent en régulant la production des protéines essentielles à sa régénération. Cependant, lorsque la concentration de glucose est élevée dans les fibroblastes, la concentration cutanée de GDF15 et MTERF3 ainsi que leurs cibles sont dérégulées. Plus précisément, la protéine GDF15 diminue en concentration. Image de peau en immunofluorescence. L’épiderme et ses différentes couches apparaissent en rose. Le derme, avec ses fibres de collagène, apparaît en gris et jaune. Les noyaux des cellules (kératinocytes dans l’épiderme / fibroplastes dans le derme) apparaissent en bleu. © Seyta LEY-NGARDIGAL Les « poules aux œufs d’or » des fabricants de cosmétiques ? Rajouter des protéines GDF15 et MTERF3 dans les cellules de peau pourrait contrer l’apparition de rides. Mais la biologie cellulaire n’est malheureusement pas aussi simple. « Une équipe chinoise a mis en évidence que cette protéine GDF15, lorsqu’elle est surexprimée dans la peau par des vieux fibroblastes, est la cause de l’apparition de taches brunes » explique la chercheuse. Un facteur qui peut déplaire aux créateurs de cosmétiques… Les recherches sur ces protéines se poursuivent et pourraient déboucher sur le développement de nouveaux produits, en tirant parti des autres molécules identifiées dans la cascade par Seyta Ley-Ngardigal, afin de réduire les rides et atténuer les effets de notre consommation de sucre. Du moins, en ce qui concerne l’apparence de notre peau. Erwan Le Gac Retourner au sommaire
Comment les dents nous mâchent l’histoire de l’évolution humaine

Comment les dents nous mâchent l’histoire de l’évolution humaine Les dents fossilisées offrent aux paléoanthropologues une mine d’informations sur l’évolution humaine, révélant les régimes alimentaires, les environnements et les adaptations des premiers humains. En Afrique comme en Asie, ces découvertes montrent comment les changements climatiques et les migrations ont façonné notre espèce. Des milliers, voire des millions d’années et pas toutes leurs dents… Ce sont les fossiles qu’étudie Clément Zanolli, paléoanthropologue au laboratoire PACEA, à l’université de Bordeaux. Cependant, c’est bien sur les dents que se concentrent ses recherches, lui permettant d’étudier l’émergence du genre Homo et la diversité des espèces d’hominidés ayant existé, et parfois coexisté, durant des périodes anciennes jusqu’à il y a 100 000 ans, nous offrant alors un éclairage inédit sur nos racines. Des dents comme archives de l’évolution humaine Les dents fossiles représentent une source précieuse d’informations pour les chercheurs. Clément Zanolli nous éclaire sur les ressources inestimables pour retracer l’évolution humaine, que sont les dents fossilisées. En effet, il explique que : « les dents sont une sorte de boîte noire de la vie de l’individu », préservant des détails cruciaux sur les modes de vie, les relations entre espèces et les adaptations évolutives. Les dents sont une sorte de boîte noire de la vie de l’individu. Clément Zanolli Grâce à des techniques avancées comme l’imagerie aux rayons X, les scientifiques explorent l’intérieur de ces fossiles sans les endommager. La jonction entre l’émail et la dentine (en bleu sur le schéma) est propre à chaque espèce, et est particulièrement utile pour distinguer les espèces, car elle conserve les caractéristiques morphologiques même lorsque la surface de la dent est abîmée, ce qui est souvent le cas avec des fossiles. Par exemple, les néandertaliens et les Homo sapiens se distinguent par la morphologie de cette jonction émail-dentine. En étudiant la morphologie interne, les chercheurs peuvent suivre l’évolution des hominidés sur plusieurs millions d’années. Ses recherches montrent aussi que les dents contiennent des traces de régime alimentaire, ce qui permet de comprendre le mode de vie et l’environnement des anciens hominidés. Schéma de la structure interne d’une dent, ©Freepik, générée par IA Moulage de crâne d’Homo erectus de Tautavel (environ -450 000 ans), ©Daniel Jolivet (licence CC-BY-SA 2.0) Explorer les écosystèmes anciens à travers des fossiles Grâce à de nombreuses fouilles réalisées sur des sites en Afrique et en Asie, nous pouvons à présent mieux appréhender les environnements des premiers humains. Avec les méthodes archéologiques modernes, chaque fossile est analysé dans son contexte géologique pour reconstituer l’écosystème d’autrefois. En effectuant des analyses invasives des fossiles, pour détecter les isotopes présents dans les dents, ainsi qu’avec l’observation des micro-usures, il devient possible de déterminer si les hominidés vivaient dans des environnements ouverts tels que les steppes et les prairies ou dans des milieux forestiers, et quelle était leur alimentation. En Asie comme en Afrique, les découvertes diffèrent en fonction des époques et des conditions climatiques, montrant comment les changements environnementaux ont façonné les adaptations des différentes espèces humaines. Cela est particulièrement évident dans l’évolution des habitudes alimentaires, avec le passage de régimes principalement herbivores à une alimentation riche en protéines animales, marquant un tournant important dans l’évolution humaine, particulièrement chez Homo erectus (-1,9 millions d’années à -300 000 ans). Migrations et adaptations récentes d’Homo sapiens La génétique et la paléoanthropologie révèlent également une histoire migratoire plus complexe et ancienne que ce que l’on croyait. Des fossiles retrouvés en Afrique montrent que les humains modernes existaient déjà il y a 300 000 ans, et des fossiles en Asie, vieux de 100 000 ans, suggèrent que les premières migrations ont eu lieu bien avant les 50 000 ans précédemment estimés. Ces découvertes soulignent que l’histoire de l’évolution humaine est remplie de diverses lignées, dont certaines se sont éteintes, tandis que d’autres ont contribué à la diversité génétique actuelle. Les humains modernes, Homo sapiens, se démarquent profondément de leurs ancêtres du genre Homo. Contrairement à nos ancêtres du Pléistocène (remontant avant -11 700 ans), qui partageaient de nombreuses similarités avec les néandertaliens, les Homo sapiens actuels présentent une morphologie distincte. Au fil des millénaires, notre espèce a évolué vers une mâchoire réduite et de plus petites dents, entraînant par exemple des difficultés pour le développement de la troisième molaire, la fameuse dent de sagesse. Parallèlement, notre neurocrâne s’est agrandi, reflétant des changements dans nos capacités cognitives et dans notre mode de vie. Cette évolution physique est étroitement liée aux transformations sociales et environnementales. Depuis l’Holocène, soit les 10 000 dernières années, l’humain a adopté de nouvelles pratiques, telles que la sédentarisation, l’agriculture, et plus tard, l’industrialisation. Ces changements ont réduit le besoin de certaines capacités de survie qui étaient cruciales pour nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, comme une vision accrue ou une région olfactive développée. Les adaptations morphologiques se sont ainsi orientées vers un mode de vie moins exigeant physiquement, mais plus complexe socialement. Maxime Bergeon Retourner au sommaire
Dépendance à la cocaïne : aux origines d’une addiction destructrice

Dépendance à la cocaïne : aux origines d’une addiction destructrice Drogue dure bien connue sous sa forme de poudre blanche, la cocaïne intrigue autant qu’elle inquiète. Alors que ses effets destructeurs sur la santé des usagers continuent de s’aggraver, la question de comprendre ce qui mène à la dépendance reste cruciale. Une drogue venue d’Amérique Pour retracer les origines de la cocaïne, il faut remonter 3 000 ans avant notre ère et s’arrêter en Amérique du Sud où dans certaines régions, les feuilles de coca étaient consommées à des fins paramédicales. C’est à la fin du 19e siècle que la cocaïne fut extraite des feuilles de coca et synthétisée pour la première fois. Utilisée dans le cadre de l’anesthésie locale, elle gagne en popularité au sein de la haute société. « Sigmund Freud, neurologue autrichien et père de la psychanalyse, était un grand consommateur et avait imaginé que la cocaïne pouvait être utilisée dans le traitement de certaines maladies mentales comme la neurasthénie», révèle Serge Ahmed, directeur de recherche au CNRS de Bordeaux. Dans les années 1920, aux Etats-Unis, lorsque les minorités raciales commencent à consommer cette drogue, les premières restrictions apparaissent. La situation s’aggrave dans les années 1980 avec l’essor du crack, une forme bon marché de cocaïne, consommé par inhalation. « C’est à ce moment que le problème de la cocaïne, tel qu’on le connaît aujourd’hui, a véritablement pris racine », souligne le chercheur. Feuille de coca © Pexel Le développement d’une addiction à la cocaïne ne suit pas de schéma général. Serge Ahmed Modélisation moléculaire de la dopamine © Wikimédia De la consommation à l’addiction Mais, qu’est-ce qu’une addiction ? Serge Ahmed parle d’égodystonie, où les désirs du consommateur s’opposent à sa volonté. « Les personnes touchées ressentent une forte envie de réduire leur consommation, mais se retrouvent piégées dans un cycle de perte de contrôle », éclaire le chercheur. « La personne ressent un désir récurrent de limiter ou d’arrêter sa consommation, mais elle n’y parvient pas ». Ce n’est pas tout : pour qu’une personne soit considérée comme addict, ces symptômes doivent être observables pendant au moins 12 mois. « Si vous avez ces symptômes pendant 3 mois, on ne vous considérera pas comme addict et heureusement ! », ironise-il. Une dépendance se manifeste chez environ 15 à 20 % des consommateurs, impliquant une combinaison de variables additionnelles. Selon Serge Ahmed, trois grands facteurs influencent la vulnérabilité d’un individu à l’addiction aux drogues : « On a des facteurs génétiques, qui façonnent la vulnérabilité d’un individu, […], des facteurs développementaux, qui peuvent notamment influencer le développement du cerveau […], et des facteurs environnementaux généraux, comme la culture, le cercle social, les facteurs de stress ou l’accessibilité aux drogues », énumère l’expert. « Le développement d’une addiction à la cocaïne ne suit pas de schéma général », ajoute-t-il. En consommant de la cocaïne, le circuit de la récompense, un réseau dopaminergique impliqué dans le plaisir et la motivation, est directement altéré car la réabsorption de la dopamine, un neurotransmetteur clé dans ces mécanismes, est inhibée. Ce processus est crucial pour les effets plaisants de la drogue : en bloquant le transporteur de dopamine, la cocaïne augmente sa concentration dans le cerveau, intensifiant la sensation de plaisir. Des effets sur la santé difficiles à identifier Les effets de la consommation chronique de cocaïne sur la santé sont multiples et préoccupants. « Chez les personnes qui en consomment beaucoup, on peut observer des troubles cardiaques, avec un infarctus et une mort précoce. Pour les consommateurs qui sniffent la cocaïne, on observe des phénomènes de vasoconstriction, qui peuvent éventuellement conduire à des nécroses par exemple », alerte Serge Ahmed. Sur le plan cognitif, les impacts de la cocaïne ne sont pas toujours évidents à démontrer, ce qui rend leur observation délicate. « Le problème avec la cocaïne, achetée dans la rue, est que même quand elle est jugée très bonne par les consommateurs, elle sera coupée avec d’autres produits », nous révèle Serge Ahmed. « Les conséquences de la consommation sur le système cardiovasculaire ne sont pas forcément liées à la consommation de la cocaïne en tant que telle mais au fait que l’on y a rajouté des substances comme des médicaments ou de la poussière de verre pour un peu plus d’argent », ajoute l’expert. Quoi qu’il en soit, la vente de cocaïne et sa consommation sont interdites en France. Charlotte Quemin Retourner au sommaire
BOUH ! La chimie de la peur, exemple du cinéma

BOUH ! La chimie de la peur, exemple du cinéma La peur est un sentiment qui fascine, notamment dans le cas des films d’épouvante. Le genre horrifique, aux côtés de la science-fiction et du fantastique, représente 28 millions d’entrées au cinéma depuis 20 ans. Afin de comprendre l’impact de ce phénomène sur nos corps, nous avons interrogé Julien Courtin, chercheur à Bordeaux Neurocampus. Tempête sous un crâne Concrètement, que signifie la peur dans notre cerveau, notre organisme ? La première chose à comprendre, c’est que la peur est la détection d’un danger, d’une atteinte à notre intégrité. Julien Courtin explique notamment que « la plupart des neuroscientifiques voient le cerveau comme une machine à prédire tout ce qui va se passer dans l’environnement », la peur apparaît alors comme un mécanisme de protection. La réaction est rapide : après détection par nos cinq sens, en moins d’une seconde, le cerveau produit une vague chimique. Une flopée de neurotransmetteurs va parcourir nos synapses pour avertir le cortex préfrontal du danger imminent. Cela va déclencher l’activation de l’amygdale qui elle-même va stimuler la production d’hormones, pour réagir face à cette attaque. « Le cerveau produit une vague chimique » Julien Courtin Nous expérimentons alors l’accélération de notre rythme cardiaque : le cœur pompe plus de sang, notre pupille se dilate pour mieux percevoir le danger, ou nous transpirons afin de réguler la température de notre corps… Tout ceci n’est qu’une suite de réactions chimiques qui nous pousse à l’objectif primaire de notre organisme : survivre. Le corps dans tous ses états Concrètement, la peur entraîne des réactions au niveau de notre cerveau. Seulement, notre corps va réagir tout autant ! Pour étudier ce comportement, on utilise en laboratoire des souris, pour observer quelles réactions celles-ci peuvent présenter. Trois comportements distincts apparaissent : Le freezing : le sujet se fige face aux stimuli L’escape behavior : le sujet cherche à s’échapper L’extinction : si trop exposé aux stimuli, le sujet finit par ne plus réagir Nos réactions peuvent ainsi varier face à la peur : chacun possède une sensibilité différente face aux stimuli. Cela est vérifiable notamment pour les phobies : pour certains, les informations dans notre cerveau liées à un danger sont encodées de manière à bloquer toute autre mémorisation. Alors à la vue d’un élément lié à ses propres expériences (araignée, serpent, vide…), le cerveau choisira de se figer ou de fuir. Microscope utilisé dans le laboratoire de Julien Courtin pour étudier des coupes fines de cerveau de souris © Solenn Buan Ambiance de films d’horreur incitant à l’angoisse : peu de lumière, aspect glauque, filmé à la première personne © Unsplash Frissons et salles obscures Pour certains, la peur passe avant tout par les films, avec le cinéma d’horreur. Grande part de notre paysage audiovisuel, plus d’un film sur 10, sortis entre 1960 et 2023, sont des longs-métrages d’horreur. Mais d’où vient cette fascination ? Au cinéma, dans la vie réelle, le cerveau se donne pour mission de prédire les événements. Or, dans le cadre d’un stimulus qui nous surprend, l’anticipation arrive trop tard. C’est le cas des jump scare (sursaut d’horreur), moment des films d’horreur où surgit de nulle part une entité, accompagné d’un son fort. Le corps produit alors de l’adrénaline, qui va stimuler la production de la dopamine, hormone du plaisir et de la récompense. Cela peut ainsi expliquer le sentiment grisant qui peut être ressenti lorsqu’on visionne des films d’horreur. De même, Julien Courtin explique que nous avons une capacité de dissociation dans les salles de cinéma : « on est capable d’être assis dans une salle, mais de se dire qu’on est physiquement dans un état de non-danger ». Le principe d’extinction peut également apparaître : on s’habitue, on s’attend au choc de la surprise. La compréhension des mécanismes des films d’horreur peut également aider à ce phénomène : Réalisme (found footage, des films tournés à la première personne) Montage créant la surprise (smash cut, action coupée brutalement entre deux scènes pour souligner un contraste) Atmosphère anxiogène (par exemple la musique iconique dans Psychose d’Alfred Hitchcock, sorti en 1960) Julien Courtin mentionne également que des expériences chez les souris ont montré que nous serions capables de ressentir la peur des autres : le fear conditioning, par empathie, nous amène à nous mettre à la place d’un individu face à une situation de stress. Les salles de cinéma seraient ainsi propices à la terreur de groupe ! En résumé, l’expérience de la peur dépend de chacun de nous. C’est un sentiment puissant mettant notre corps à l’épreuve, dont le fonctionnement est toujours à l’étude aujourd’hui, notamment dans le cas de pathologies comme le trouble de stress post-traumatique. Solenn Buan Retourner au sommaire
Mémoire mémoire, dis-moi qui je suis ?

Mémoire mémoire, dis-moi qui je suis ? Avoir des difficultés à s’exprimer, à se situer ou à se souvenir des événements récents : tel est le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Tour d’horizon des causes et des enjeux liés à cette pathologie avec Catherine Helmer, chercheuse spécialisée dans l’étude des maladies neurodégénératives au Bordeaux Population Health. En France, plus d’un million de personnes sont touchées par la maladie d’Alzheimer ou des pathologies apparentées, avec 200 000 nouveaux patients chaque année. Le plus souvent, la maladie d’Alzheimer touche les personnes âgées de plus de 65 ans, « Une personne sur cinq âgée de plus de 80 ans est touchée par cette pathologie », précise Catherine Helmer. La maladie d’Alzheimer s’explique par l’apparition progressive de deux types de lésions cérébrales : les plaques amyloïdes qui se déposent à l’extérieur des neurones, et les dégénérescences neurofibrillaires qui touchent l’intérieur des neurones. Ces lésions impactent différentes zones cérébrales et vont entraîner des difficultés à effectuer des activités de la vie courante, des troubles de la mémoire, des difficultés à écrire ou à parler, à se repérer dans l’espace et le temps. 40 % des cas maladies d’Alzheimer pourraient être retardés. Catherine Helmer Une maladie évolutive On définit la gravité de cette maladie selon plusieurs stades, allant du trouble cognitif mineur à majeur. Les troubles cognitifs se définissent comme un ensemble de symptômes qui touche à la connaissance comme à la mémoire, au langage et au raisonnement. Les symptômes varient en fonction du type et de la localisation des lésions cérébrales.Les troubles cognitifs majeurs se caractérisent par « une incapacité presque totale à faire ses activités du quotidien », précise Catherine Helmer. « On ne se souvient plus où on a mis ses clés, et on en oublie même qu’on cherchait ses clés ». La maladie devient un réel handicap pour la personne touchée. La difficulté première de cette pathologie dégénérative réside dans sa prise en charge tardive. Lorsque les symptômes apparaissent, les lésions sont déjà très présentes et malheureusement irréversibles. Mais une prise en charge précoce des malades sur le plan clinique dès les premiers symptômes peut permettre d’organiser la prise en charge et donc d’améliorer la qualité de vie du patient. « 40 % des maladies d’Alzheimer pourraient être retardées », selon Catherine Helmer. Représentation d’un réseau de neurones © Unsplash Des découvertes prometteuses ? Le sujet de la maladie d’Alzheimer est très présent dans l’actualité. « Cette pathologie touche plus de personnes à l’heure actuelle que par le passé », précise la spécialiste.En cause, le vieillissement de la population française. « Mais nos études montrent qu’à âge égal, il y a moins de risque de développer la maladie d’Alzheimer aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans ; sans doute parce que nous contrôlons mieux certains facteurs de risque », ajoute Catherine Helmer. Parmi ces facteurs de risque, citons les facteurs vasculaires (qui touchent les vaisseaux comme les artères). Ainsi, le contrôle de l’hypertension artérielle aide à prévenir le risque de développer cette maladie. Des enjeux sociaux et sociétaux, comme l’évolution et le développement du niveau d’éducation sont également un facteur qui retarde l’apparition de la maladie. Malgré cela, notre population vieillissant, le nombre de malades continue d’augmenter. Et malgré les nombreuses recherches sur cette pathologie, elle reste à ce jour incurable.Cependant, suite à la découverte de lésions vasculaires dans le cerveau chez de nombreux patients, la recherche s’intéresse à la détection de ces lésions afin de ralentir leur progression. Le cerveau n’étant pas directement accessible pour les détecter, l’œil – notamment le réseau microvasculaire rétinien – pourrait servir de « fenêtre sur le cerveau ». Ainsi, l’observation de l’œil pourrait permettre, lors d’une simple visite chez l’ophtalmologiste, de visualiser des lésions vasculaires éventuelles grâce à un examen très rapide et complètement indolore. Cela pourrait permettre de prendre rapidement en charge le patient ayant ces lésions afin de limiter leur progression et ainsi retarder l’aggravation des symptômes et de la maladie. Le saviez-vous ? Malgré ce que beaucoup peuvent penser, la maladie d’Alzheimer n’est pas forcément héréditaire. Même si certaines prédispositions génétiques existent, elles peuvent s’exprimer ou non selon les individus et sont loin de tout expliquer.Cela rend encore plus compliqué la prise en charge des personnes souffrant de cette maladie. Cependant, si nos gènes ne nous permettent pas de savoir avec précision qui va développer cette pathologie, plusieurs facteurs aggravants ont été détectés comme l’obésité, l’hypertension, la sédentarité, ou encore la pollution de l’air. Enfin, si vous ou l’un de vos proches présentez des symptômes évoquant la maladie d’Alzheimer, n’hésitez pas à en parler à un médecin. Cerveau en surbrillance © Canva Calliopée Archambault Retourner au sommaire
Stéréotypes : une construction humaine entre croyances et réalité

Stéréotypes : une construction humaine entre croyances et réalité Pourquoi les stéréotypes existent-ils ? Pour comprendre, revenons sur l’origine, le développement et la persistance des stéréotypes avec Antonin Carrier, maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Bordeaux. Les stéréotypes sont des connaissances partagées sur les attributs et/ou les caractéristiques des membres d’un groupe. Un stéréotype est composé de deux parties : une construite qui touche aux croyances et une part de réalité. Cette dernière s’appuie sur des aspects descriptifs, qui peuvent être physiques ou psychologiques et c’est cela qui va être évalué par la partie croyance qui est le résultat de représentations et de logiques sociales. La conséquence étant un jugement non neutre d’une chose visible.Les stéréotypes sont des éléments d’information pour l’humain. En effet, nous avons besoin de comprendre notre environnement, de produire du sens.« Pour nous simplifier cette compréhension et obtenir de l’information, nous catégorisons, nous trions, nous organisons en fonction des similarités et des différences que nous observons », explique Antonin Carrier.Mais cette catégorisation est aussi dépendante de notre relation avec la cible, et pas de ce qu’elle est dans toute sa complexité et ses nuances. En plus de sa quête de sens, l’humain est un être social qui a besoin de combler son besoin d’appartenance à un groupe en s’entourant de ses semblables.Lorsqu’une situation lui est inconnue, il cherche à comprendre. Son premier réflexe va donc être de catégoriser l’autre comme différent et extérieur à son groupe. En fonction de ses connaissances acquises socialement, il va émettre un jugement plus ou moins négatif ou positif.Le pouvoir de la situation et son caractère arbitraire ne sont pas à négliger.Les stéréotypes sont donc le résultat de l’interaction entre nos besoins psychologiques et le déterminisme sociologique. Ce qui peut nous amener à remettre en question notre libre arbitre : nous sommes peut-être beaucoup moins libres que ce que nous pensons. Les 3 facteurs à l’origine d’un stéréotype « Il faut bien comprendre que les stéréotypes, c’est très humain et c’est normal d’en avoir », précise Antonin Carrier. Le développement des stéréotypes est dû à des fonctionnements profonds de l’humain. « Nous sommes une espèce pacifique et collaborative, extrêmement conformiste, pour qui la hiérarchie est aussi puissante que la croyance », ajoute le spécialiste. Il identifie 3 facteurs à l’origine des stéréotypes : La structure des relations et la compatibilité des buts. Elle relève des relations entre les groupes, par exemple une situation de compétition amène à la stigmatisation de l’adversaire. Alors qu’en situation de collaboration, les individus se trouvent plus facilement des points communs. Le sentiment d’appartenance à un groupe, qui nous conduit à privilégier les membres de notre groupe et discriminer ceux de l’autre, sans besoin de situation réelle. La compatibilité des valeurs. Si les valeurs de deux individus sont trop éloignées, c’est là que peuvent émerger les conflits les plus violents, générant la haine et des volontés d’élimination de l’autre groupe. Photo représentant des personnes dans un centre commercial © Anna Dziubinska / Unsplash Les stéréotypes trouvent donc leur origine dans un groupe mais s’arrêtent également avec le groupe. Antonin Carrier Photo représentant un groupe de personnes sur leurs smartphones © Camilo Jimenez / Unsplash Pourquoi est-ce si compliqué à déconstruire ? Pourquoi les stéréotypes sont-ils si compliqués à déconstruire ? « Parce que les individus pensent avoir de bonnes raisons de croire en leurs propres stéréotypes », répond Antonin Carrier, il poursuit : « Personne n’a envie d’être immoral ou violent. Si nous avons un comportement problématique, c’est parce que nous ne le considérons pas comme problématique. » Dès lors que nos croyances stéréotypiques sont remises en question ou menacées, c’est en fait notre représentation du monde entier qui est remise en cause.Bien que cela soit humain, les stéréotypes sont étudiés notamment pour mieux les comprendre et tenter de résoudre les conséquences négatives qu’ils engendrent.Parmi ces tentatives nous retrouvons « l’hypothèse du contact » pour acquérir des informations moins menaçantes via des interactions avec la cible stéréotypée. Cette prise de contact permet de créer de nouvelles expériences positives qui déconstruisent les idées préconçues.« Un travail de sensibilisation et d’éducation est nécessaire, car la plupart des personnes ne se rendent pas compte qu’elles entretiennent des stéréotypes car elles considèrent leur croyance comme vraie et vérifiée », ajoute Antonin Carrier, qui conclut : « Les stéréotypes trouvent donc leur origine dans un groupe mais s’arrêtent également avec le groupe ». Clara Constantin Retourner au sommaire
Ce que révèle notre ADN sur nos origines

Ce que révèle notre ADN sur nos origines Découvrir ses origines, retrouver des membres de sa famille… Toutes ces promesses sont faites par les tests ADN de loisirs, devenus populaires il y a quelques années. Quel est donc cet ADN qui permet de savoir tant de choses sur nous ? Comment peut-il nous permettre de retrouver nos ancêtres ? Nous sommes la clé d’un hasard génétique. Un hasard déterminé par les chromosomes de notre organisme qui ont fait de nous ce que nous sommes. Pour comprendre ce qui se joue, revenons au début. Chaque humain a son information génétique répartie sur 46 chromosomes, soit 23 paires. Un chromosome est un long brin d’ADN contenant toutes nos informations génétiques. Pour chaque paire, un chromosome est d’origine maternelle et l’autre paternelle. En effet, les cellules reproductrices de l’homme et de la femme ont chacune un seul chromosome par paires. Ainsi, lors de la fécondation, les chromosomes de la mère et du père vont s’apparier pour former le patrimoine génétique de l’enfant. Modélisation d’ADN © Unsplash Pourquoi ressemblons-nous à nos parents ? Sur cet ADN se trouvent des gènes. Une partie de ces gènes est responsable de nos traits physiques et de notre caractère. Quant à savoir lequel du gène de la mère ou du père sera responsable des caractéristiques de l’enfant, cela dépend de multiples facteurs, majoritairement génétiques, mais aussi environnementaux. Pour résumer : si toute notre famille du côté de notre père a les yeux verts, il y a une grande probabilité que ce gène soit transmis et donne aussi à l’enfant des yeux verts, mais ce n’est pas non plus certain. Cela dépendra aussi de la dominance des gènes d’autres couleurs. L’ADN est donc transmis de génération en génération, la moitié provenant du père, l’autre de la mère. Sur l’ensemble de notre ADN, la moitié, soit 50%, provient du père ; et nous pouvons continuer à remonter les générations du père en partant du principe que la génération précédente a la moitié de la génération du milieu. Ainsi, nous avons 25 % de notre ADN qui provient de notre grand-père, 12,5 % de notre arrière-grand-père, puis 6,3 %, 3,2, 1,6, 0,8… C’est à partir de 0,7 % que cela commence à être compliqué de retrouver des traces dans les biobanques mondiales, dans lesquelles sont stockées des données génétiques. Mais en regardant tout le génome, on peut encore aller plus loin. « Au niveau de l’ADN, avec ces biobanques (23andMe, MyHeritage, Ancestry DNA…) on peut remonter à plus de 8 générations », explique Guillaume Vogt, généticien, docteur en génétique humaine à l’Inserm. Au niveau de l’ADN, avec ces biobanques on peut remonter à plus de 8 générations. Guillaume Vogt Chromosomes d’un être humain © Abogomazova / Wikipedia commons Un appui pour la généalogie Nous pouvons donc retrouver grâce à l’ADN des traces de nos ancêtres sur plusieurs générations. Cependant, il est important de savoir que pour retrouver ses ancêtres, la généalogie papier (administrative) est au moins aussi importante que la génétique. En France, on peut retrouver des traces de documents officiels sur les liens généalogiques de quasiment toute la population. Ainsi, lorsqu’un test est fait pour connaître ses origines, il sert généralement à vérifier des hypothèses issues de la généalogie. Il arrive cependant que des personnes n’ayant absolument pas de traces généalogiques retrouvent des membres de leur famille entièrement grâce à des tests ADN. À la recherche d’ADN similaire Que regarde un test ADN ? Prenons l’exemple des tests de loisirs utilisés pour découvrir ses origines génétiques et de possibles individus ayant un ADN similaire au sien. Ces tests identifient des marqueurs génétiques, des fragments d’ADN, qui sont censés être identiques au sein d’une même population, mais différents d’une population à l’autre. Ces tests vont ainsi comparer les marqueurs génétiques de l’individu à ceux de sa base de données pour identifier lesquels ils ont en commun. Si l’individu a plusieurs marqueurs génétiques définis comme étant ceux de la population hispanique, il a donc des origines hispaniques.Cependant, ce système est loin d’être parfait. « Il s’appuie sur un système auto-déclaratif et sur des populations de références, c’est-à-dire que la base de données et sa spécificité augmentent au fur et à mesure que les gens font le test », commente Guillaume Vogt. Les résultats ne seront donc pas les mêmes si l’on refait un test des années plus tard, comme ils sont différents d’un test à l’autre. Ces tests indiquent aussi si notre ADN est similaire à celui de personnes ayant fait ce test, ce qui pourrait signifier qu’elles sont de la même famille.Mais attention, ces tests sont interdits en France ! En effet, les études faites sur l’ADN, ou sur une quelconque partie de notre corps, sont très contrôlées. Les seuls tests génétiques autorisés doivent être demandés dans le cadre de soins, de recherche, de justice ou par l’armée à l’étranger. Alors, si vous voulez en savoir plus sur vos ancêtres, penchez-vous plutôt vers la généalogie, mais gardez en tête que votre ADN est entièrement constitué de celui de vos ancêtres. Lucie Gallardo Retourner au sommaire